
[…] Dès cet instant, les critiques insidieuses et les indiscrétions contre les juges les plus en vue du pool antimafia s’intensifièrent. On les accusa même de mener le combat contre Cosa Nostra par simple intérêt personnel dans le but d’accéder à des fonctions supérieures à la chambre de la magistrature ou au syndicat des magistrats. Falcone et Borsellino démentirent systématiquement et parfois publiquement ces allégations pour éviter d’être avalés par l’ignoble suspicion. Et pourtant, la vie des magistrats de l’antimafia n’avait rien d’enivrant. Leur existence blindée, sous escorte permanente les privait fatalement de l’une des principales liberté individuelle qui est celle d’aller et de venir quand bon nous semble. Un simple repas au restaurant, la moindre balade le long d’une plage leur était interdite sans anticipation, ni préparation et sans la présence de gardes du corps armés. Or, les spécialistes de la sécurité ont toujours eu une aversion marquée pour les imprévus de dernière minute. Ce que les policiers ont coutume d’appeler dans leur jargon les décisions réservées, permettant de s’attendre à l’imprévisible, le danger de se rendre sans préparatif dans un lieu public était fortement multiplié. Inexorablement, la cote de popularité importante dont bénéficiaient les juges antimafia à l’intérieur comme à l’extérieur du Palais de justice créa des convoitises. Des politiciens tentèrent même de racoler ces héros des temps modernes en s’attirant leur sympathie pour embellir leur image de marque, mais aucun des magistrats ne se montra assez crédule pour s’engouffrer dans ce jeu dangereux. C’est sans doute cette indépendance qui leur valut parfois les critiques acerbes et injustifiées évoquées tantôt.
Certains magistrats du palais de justice étaient envieux de l’attention portée par les médias aux juges antimafia et particulièrement à la popularité de Giovanni Falcone. Certaines mauvaises langues iront jusqu’à l’accuser de vouloir se réapproprier tous les procès importants d’Italie. Sournoisement, un haut fonctionnaire déclara un jour au Procureur Rocco Chinnici :
« Je te suggère de le bourrer de petits procès, au moins il nous fichera la paix. »
Il répondit par un silence assourdissant suivi d’un signe de tête agacé l’invitant à quitter son bureau.
Le juge vécut ainsi une série de microséismes personnels qui faisaient de plus en plus intenses au fur et à mesure que le temps passait. La jalousie s’était transformée en acide nauséabond parce qu’en l’espace de quatre ans, Falcone et son équipe en apprirent plus sur Cosa Nostra que personne d’autre avant eux.