Arrestations dans l’entourage du chef de la mafia sicilienne
Stratégie d’isolement
Le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur Angelino Alfano a salué «cette opération vraiment importante car elle entre dans la stratégie d’isolement de Matteo Messina Denaro et de coupure de ses moyens de financement».
«Je suis superstitieuse et je ne dirais donc pas que nous sommes proches de la capture de Denaro, mais je peux dire que cette enquête représente un pas décisif en avant», s’est félicité devant la presse la magistrate Teresa Principato qui a coordonné l’enquête.
«Je crois que nous ne sommes jamais arrivés aussi près de Matteo Messina Denaro. C’est une des plus importantes opérations de ces derniers temps», a pour sa part affirmé le général Mario Parente, chef d’une unité spéciale des carabiniers.
Matteo Messina Denaro est né le 26 avril 1962 à Castelvetrano (Province de Trapani) en Sicile. Il apprend à manier une arme à l’âge de 14 ans et commettra son premier homicide à 18 ans. Depuis ce jour, il va s’installer dans la hiérarchie de l’organisation criminelle en devenant un tueur de la Mafia brutal, arrogant et impulsif. Alors qu’il n’avait que 30 ans, la justice le soupçonnait d’avoir commis plus de 50 meurtres et d’en avoir commandités encore plus. Son père, Don Francesco, était un boss mafieux qui, à temps perdu, cachait ses activités illégales en retournant la terre dans les vignes d’une famille de banquiers comme un simple ouvrier agricole. Ce dernier avait pour habitude de laisser des traces sur le visage de ses victimes ; ce qui lui valut le sobriquet « il giardiniere con il bisturi » (le jardinier au bistouri).

L’escalade de Denaro au sein de Cosa Nostra est celle du jeune loup pétri d’ambition que la soif de pouvoir rend un peu immature. À 20 ans (1982), pour faire comme son héros de bande dessinée, il monte deux mitraillettes sur son Alfa Roméo 164. Il collectionne alors les fiancées et l’une d’elle lui donnera une fille. Muni de Rolex en or, chemise ouverte, lunettes aviateurs, le mafioso n’est pas aussi discret que les chefs historiques de la Mafia (Riina, Provenzano). À 30 ans (1992), il revendique d’avoir tué assez d’hommes pour remplir un cimetière. À 40 ans (2002), le FBI le fiche comme étant l’un des cinq principaux trafiquants de drogue de la planète.
En 1993, lorsque Toto Riina déclare la guerre à l’État et organise des attentats à la bombe à Rome, à Milan et à Florence qui feront 10 morts, le jeune Matteo Messina Denaro, alors âgé de 32 ans, exécute cette mission terroriste pour le parrain qu’il vénère. Cet acte lui vaudra d’être condamné à la prison à vie par contumace puisque depuis, il est en cavale.
Après l’arrestation de Salvatore Lo Piccolo en 2007, Matteo Messina Denaro devient le chef suprême de la mafia sicilienne. L’homme qui est passionné de jeux vidéos et de bandes dessinées est surnommé « Diabolik » en référence à l’oeuvre italienne dont le héros est un criminel professionnel. La dernière photo que les policiers de l’antimafia ont du mafioso date de 20 ans. Elle fut trouvée par hasard dans le portefeuille d’un homme « d’Honneur » avec l’inscription suivante : » Notre devoir, c’est l’adorer. «
Le substitut antimafia Roberto Piscitello qui le traque depuis des années a expliqué que Denaro était redoutable, car il incarnait la synthèse des anciens et des modernes. Il a la cruauté d’un Riina et l’habileté manoeuvrière d’un Provenzano. Il peut se montrer sauvage comme un primate, mais il n’a pas son pareil pour infiltrer les administrations. Denaro écrit ses pizzini (billets grâce auxquels les mafieux en cavale communiquent et donnent des ordres) à l’ordinateur sans jamais omettre d’invoquer les proverbes religieux de Padre Pio ou de la madone de Lourdes.

Le commissaire Giuseppe Linares de la squadra mobile de Trapani le chasse jour et nuit depuis les premiers jours de sa cavale. L’abnégation de l’officier de police est exemplaire à plus d’un titre. Au début de sa carrière dans l’antimafia, le premier fugitif qu’on lui demande d’arrêter était déjà mort depuis 10 ans ! Ça ne l’a pas découragé pour autant et depuis les premiers jours de la cavale de Denaro, il ne pense qu’à lui mettre la main dessus. Le commissaire est devenu le maestro de la fibre optique et du micro-espion. Il est devenu un as pour planquer des caméras miniaturisées dans tous les coins intéressants pour ses enquêtes. Dans l’une des planques de Denaro, les enquêteurs on retrouvé toute la collection de livres de l’auteur Daniel Pennac. Du coup, le commissaire qui veut pénétrer dans les arcanes du cerveau de son ennemi juré a décidé de lire toute la série de l’écrivain, cherchant le moindre indice. Les enquêteurs savent que le parrain se déplace dans toute la Sicile dans des ambulances transportant des patients sous dialyse. On raconte aussi que la bourgeoisie mafieuse se porte comme une fleur sur du fumier depuis son avènement.
Une promotion au goût amer
Il n’y a pas que la Mafia qui a tenté de supprimer le chef de la Squadra Mobile de Trapani. Le sénateur Antonio D’Ali ne le portait pas en odeur de sainteté non plus et a tout fait pour le faire transférer de Trapani. En juillet 2013, Giuseppe Linares est nommé au bureau de la DIA de Naples, laissant derrière lui son poste à la Squadra Mobile, mais aussi à la direction de la Division de la police anticriminalité de Trapani. Le ressentiment de l’homme politique envers l’officier de police et l’un des chapitres du procès-verbal d’accusation présenté aux procureurs en 2013 dans lequel D’Ali est accusé de collusion avec la mafia.
C. Lovis