Voici comment la Mafia pratique pour s’emparer d’une entreprise et pénétrer l’économie légale d’un pays. L’exemple emblématique de la Messere Spa

1976
Est fondée à Naples la société par actions Messere Spa avec un capital social d’un milliard de lires, et avec pour activité déclarée la construction de préfabriqués, ponts, viaducs, etc. L’ingénieur Pietro Messere en est le fondateur, l’unique actionnaire et unique administrateur.
1983
L’entreprise Messere Spa remporte le marché pour la réalisation d’un raccord d’autoroute à Gela, dans le sud-est de la Sicile. Suite à des extorsions, des menaces de mort, des incendies touchant fournitures et matériels pour un dommage estimé à deux milliards de lires, l’entreprise cède le travail à une entreprise locale. L’entreprise Messere endettée à hauteur de 24 milliards de lires risque la faillite.
1986
Pietro Messere reçoit la proposition de participer pour 25% à un consortium avec les entreprises Corsicato et De Sanctis dans le cadre de la réalisation de l’axe routier reliant Castelvolturno à Lago Patrio en Campanie. Les travaux portent sur 150 milliards de lires, mais pour participer au consortium Pietro Messere a besoin de fidéjussions bancaires. Il entre en contact avec l’entrepreneur Giovanni Carfora qui lui présente «un ami», Luigi Romano, lequel dispose de fonds à placer. En échange de sa fidéjussion personnelle, Luigi Romano obtient 50% des actions à la Messere Spa – société inscrite pour un montant illimité à l’ordre des constructeurs* et qui est sur le point de remporter avec deux entreprises connues pour leur solidité un contrat au bénéfice estimé à 19 milliards de lires. Giovanni Cafora devient administrateur unique et Antonio Caiazzo, le fiduciaire de Romano, perd la place du fiscaliste initialement choisi par Pitro Messere.
* Cette inscription permet d’éviter d’avoir à produire des certificats antimafia, l’inscription étant censée garantir la « qualité » de l’entreprise.
1987
En novembre, Pietro Messere, toujours endetté, demande à Luigi Romano de mettre fiduciairement à son nom les 50% restant du capital de la société contre 3 milliards de lires au comptant ; l’opération se fait sans écriture privée de garantie. Luigi Romano cumule alors la gestion, le contrôle et le capital de la société, mais la dernière clause du contrat de cession contraint Pietro Messere à déployer toutes ses capacités dans le secteur des relations publiques afin d’obtenir des adjudications et des concessions.
Source : Sociétés du crime, Clotilde Champeyrache, CNRS Editions