Le prêtre antimafia don Luigi Ciotti menacé de mort par un boss sicilien


Toto Riina, chef de Cosa Nostra, a proféré des menaces d’assassinat contre le très populaire don Ciotti, fondateur de la principale association italienne antimafia. Les menaces remontent à septembre 2013, mais viennent seulement d’être révélées par La Repubblica.

LA REPUBBLICA / SALVO PALAZZOLO, 3 SEPTEMBRE 2014

Après don Pino Puglisi, le curé assassiné par la Mafia en 1993, don Luigi Ciotti, l’infatigable prêtre catholique militant de Libera [le grand réseau associatif antimafia], est à son tour dans le collimateur de Salvatore Riina [surnommé Totò Riina, il a été condamné à la prison à vie en 1993 pour des dizaines de meurtres dont celui de deux juges].

Pour le parrain de la Mafia, pas de différence entre les deux : « Ce prêtre est une icône et une figure qui ressemble au père Puglisi. » Il doit donc connaître le même sort : « Ciotti, Ciotti, si seulement on pouvait le supprimer. » Le chef de Cosa Nostra est entré dans une colère noire après avoir entendu à la télévision que l’Eglise voulait perpétuer le message de don Puglisi, récemment béatifié [le 25 mai 2013 par le pape François]. Et, à l’heure de la promenade, il a confié au boss des Pouilles Alberto Lorusso, son compagnon d’exercice, des mots très durs à l’encontre du prêtre assassiné et de celui « qui lui ressemble tellement ».


 »Il voulait faire la loi dans le quartier – a jugé Riina à propos de don Puglisi, sur un ton méprisant. Contente-toi donc de faire le curé, pense à ta messe, ne te mêle pas de tout ça… le territoire… le terrain… l’église… Vous voyez ce qu’il voulait faire ? Il voulait faire plein de trucs sur le terrain… Il voulait tout faire, des trucs pas croyables. » Cette Eglise qui s’implique sur le terrain rend Riina fou de colère. De don Puglisi à don Ciotti, il n’y a qu’un pas. Riina lance aussitôt l’idée d’un nouveau meurtre contre un éminent représentant de l’Eglise : « Ciotti, Ciotti, si seulement on pouvait le supprimer ce fils de pute », dit-il.

Note confidentielle

Nous sommes le 14 septembre 2013, l’après-midi, à la veille du vingtième anniversaire du meurtre de don Pino Puglisi. Les mots prononcés par Riina [en permanence sur écoute] intriguent aussitôt les enquêteurs du pôle antimafia de Palerme [Direzione Investigativa Antimafia (DIA)], qui avertissent le parquet antimafia. En l’espace de quelques heures, une note confidentielle est adressée au ministère de l’Intérieur afin de solliciter de nouvelles mesures de sécurité autour de don Luigi. A Rome et Palerme, c’est le branle-bas de combat.

Une autre alerte a déjà été déclenchée pour le procureur général Nino Di Matteo, cheville ouvrière du pôle « trattativa » [« négociation », c’est-à-dire les liens présumés entre des représentants de l’Etat et des dirigeants mafieux au début des années 1990] : Riina veut l’abattre à son tour et en a explicitement donné l’ordre à Lorusso, « faisons vite ! ». Depuis un an, les mesures de protection de don Ciotti ont été renforcées, même si son escorte reste limitée à deux policiers.

Le prêtre n’a en tout cas rien su des menaces de Riina. « Mais depuis quelques mois des signaux inquiétants et en partie indéchiffrables parviennent à don Luigi et à Libera », raconte Gabriella Stramaccioni, collaboratrice du prêtre. « Les mots de Riina viennent confirmer ce climat, reste à comprendre à qui le boss s’adressait. »

Le parrain de la Mafia a expliqué à Lorusso, à propos de Ciotti : « Il a dit qu’il voulait parler avec moi, d’abord avec l’avocat, ensuite avec ma femme. » En réalité, les choses se sont passées différemment au milieu des années 1990 : c’est la femme de Riina, après son retour à Corleone, qui a demandé un rendez-vous avec le prêtre. Ninetta Bagarella était inquiète pour le sort de ses enfants, et Ciotti s’était déclaré disponible pour une entrevue en prison avec Riina. A une condition, « que le détenu la sollicite lui-même ». Riina refusa. Et il a maintenant des mots terribles à l’égard du prêtre qui était aux côtés du pape François le 21 mars 2014, dans l’église Saint-Grégoire VII à Rome, pour accueillir les parents des victimes de la Mafia : « Il est méchant, il est malfaisant – répète Riina –, il en a fait du chemin ce pauvre type (…), je suis toujours remonté à cause de ces saisies ». Les biens de la Mafia saisis par l’Etat sont donnés en gérance à l’une des nombreuses coopératives qui adhèrent à Libera.