1983
Article paru le 1er août 1983 dans le quotidien 24 Heures
Bombe meurtrière à Palerme
La mafia veut intimider
Carcasses de voitures à peine reconnaissables, vitrines éventrées, façades mutilées, flaques de sang gorgées de poussière, cadavres gisants parmi les gravats, regards vides, silhouettes immobiles : Palerme a vécu hier matin un acte de guérilla inouï. Dans la lutte souvent impitoyable qui, dans le chef-lieu sicilien, oppose les forces de l’ordre aux seigneurs de la mafia, jamais ces derniers n’avaient mis autant de détermination criminelle au service de leur dessein. Rocco Chinnici, 58 ans, « patron » de l’équipe des juges d’instruction de Palerme, est mort. Avec lui, deux carabiniers de son escorte et le concierge de son domicile.
La mafia ne tue qu’en cas de nécessité, suivant une logique implacable. Mais elle ne manque jamais sa cible. Rocco Chinnici bénéficiait, vu sa fonction, de mesures de protection exceptionnelles. Tous les matins, une voiture blindée avec chauffeur et deux carabiniers d’escorte l’attendaient à sa porte, tandis que deux véhicules de patrouille bouclaient la rue. Impossible, pour un commando de tueurs ordinaires, d’agir dans ces conditions. Aussi a-t-on utilisé les grands moyens : une voiture piégée garée devant la porte du magistrat, plus de cent kilos de dynamite relies à un détonateur, une mise a feu radio-commandée à distance. Au bon moment.
À 8 h 10, le magistrat sort de chez lui, sous bonne escorte. Et c’est tout de suite l’explosion. Quand retombe la poussière et que se dissipe la fumée, le spectacle est hallucinant : quatre morts, quatorze blessés, une vingtaine de voitures réduites en ferraille, des vitrines et des fenêtres éventrée par dizaines, des appartements dévastés dans un rayon de 200 mètres. Rocco Chinnici était le successeur de Cesare Terranova à la tête du bureau des juges d’instruction de Palerme. Son prédécesseur avait été assassiné le 25 septembre 1979. C’est le quatrième magistrat qui tombe sous les balles de la mafia dans la capitale sicilienne.
Dans une interview accordée l’an dernier a la télévision italienne, il résumait en peu de mots son impossible mission : « En matière de mafia, il est déjà difficile d’identifier les simples exécutants. Si par hasard on les trouve, il n’y a pas moyen de remonter aux mandants. »

Une loi qui dérange
L’attentat pourrait être une manière de réponse au mandat d’arrêt décerné voilà quelques semaines, par le juge d’instruction Giovanni Falcone, contre les chefs des principales « familles » de la mafia, soupçonne d’avoir ourdi l’assassinat du général Dalla Chiesa le 3 septembre dernier. Ces mandats d’arrêt, cependant,pourraient n’être que le prélude à l’extension de l’enquête à des milieux au-dessus de tout soupçon, commanditaires présumés de l’attentat. Car la loi qui, depuis l’automne dernier, permet aux investigateurs de fouiller dans les comptes en banque des suspects, dérange beaucoup de gens en Sicile. Et pas seulement des habitués de la gâchette. Aussi faut-il voir dans l’attentat d’hier matin une intimidation à l’intention des juges d’instruction trop curieux. Le recours à une bombe de forte puissance permet, quant a lui, d’atteindre un autre but, souvent vise par les terroristes fascistes : provoquer ce qu’on appellera « Stratégie du reflux » ; c’est-à-dire s’assurer, par un attentat aveugle, la complicité passive de la population contre les forces de l’ordre.
Source : 24Heures, ROME, Gian POZZI, photographies ANSA
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