En Calabre, dans le fief la ‘Ndrangheta, l’une des plus puissantes mafias du monde, le nouveau-né qui a le malheur de naître dans une famille mafieuse est baptisé à même son berceau. Son père dépose à côté de lui un couteau et une clef. Si le bébé touche la clef qui représente la police, gare à lui ! Si sa petite main potelée atteint le couteau, il sera un “homme d’honneur”. Dans ce cas là, son père le prendra dans les bras, non pas pour lui faire un baiser, mais pour lui cracher dans l’anus. “Ça porte bonheur !” déclare un repenti.
La structure mafieuse d’une ‘Ndrine (famille calabraise) est très opaque et sa plus grande force est sans aucun doute l’importance des liens familiaux. Contrairement à d’autres organisations criminelles, les membres d’une ‘Ndrine ont des filiations biologiques. Ils sont du même arbre généalogique. Ce qui complique incroyablement le travail des enquêteurs qui ne sont pas en mesure d’infiltrer cette mafia et peuvent difficilement se reposer sur le témoignage de repentis. Prendre part à l’arrestation d’un père, d’un frère, un oncle ou un cousin avec lequel on a grandi est une décision impitoyable. Les secrets ancestraux de la Cosa Nostra (mafia sicilienne) ont été dévoilés grâce aux repentis, mais au sein de la ‘Ndrangheta, on compte très peu de collaborateurs de justice.
Les rites des clans de Calabre peuvent parfois ressembler à des plaisanteries d’ados attardés. Un jour, le grand-père mafieux d’un jeune garçon de 5 ans le force à ingurgiter du piment frais extrêmement fort. Le petit souffre la martyre, la bouche en feu ses yeux coulent de douleurs, mais il n’osera en aucune façon recracher afin de montrer à son pépé qu’il est déjà un homme fort et viril. À 5 ans !
Les cochons poussent des cris stridents quand ils sont torturés par les boss qui enseignent à leurs gamins comment utiliser une lame pour faire mal, pour faire saigner ou pour tuer. Une culture mafieuse inculquée dès le plus jeune âge pour que les garçons deviennent des durs à cuir ; des assassins sans crainte et sans pitié. Des “hommes d’honneur” conditionnés par une violence extrême.

Dans son livre Bambini a metà, i figli della ‘ndrangheta, la journaliste Angela Iantosca s’est intéressée aux enfants qui grandissent dans cet univers mafieux.Le lecteur est plongé dans le quotidien de ces rejetons qui vivent dans un monde violent et cruel. Un mafieux calabrais doit faire le serment de tuer son père, sa mère, sa femme ou ses propres enfants si les secrets de l’organisation criminelle sont mis en danger.
L’État italien a décidé de lutter en instaurant des mesures d’éloignement des enfants de mafieux à la première condamnation, même mineure. Certains s’insurgent en accusant le Tribunal pour mineurs de Reggio di Calabria de s’adonner à de la déportation d’enfants. À ce jour, 20 enfants environ sont concernés par cette mesure. Un adolescent de 16 ans, fils de l’une des plus importantes familles de la ‘Ndrangheta, n’allait plus à l’école et déclenchait constamment des bagarres. La majorité des membres de sa famille étant en cavale ou en prison, le magistrat l’a placé dans une famille d’accueil en Sicile. En quelques mois, il est devenu un garçon comme les autres. Le jeune homme a témoigné que dans sa famille de sang, il avait été éduqué à s’éloigner constamment de l’État. Depuis, il dit avoir retrouvé un chemin de vie qui lui ouvre de nouvelles perspectives d’avenir.
Ce genre d’initiative est bien sûr dramatique, mais l’Italie, confrontée sur son sol magnifique aux quatre mafias les plus structurées et puissantes du monde ne considère désormais plus qu’un enfant de mafieux est irrécupérable. Ca n’est sans doute pas l’idéal, mais c’est une tentative de plus pour essayer d’enrayer le mal endémique qui ronge sa démocratie et son état de droit.
Comme le proférait le juge antimafia Giovanni Falcone, si l’état montre sa force, sa volonté et sa détermination à lutter contre le crime organisé, la mafia n’est pas invincible.
C. Lovis
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