Le samedi 18 juillet 2015, j’ai été invité par l’Association «Citoyens contre les mafias et la corruption» en Sicile, à Partinico, à côté de Palerme, pour participer à la journée de commémoration de juge antimafia Paolo Borsellino.
Cette journée restera gravée à jamais dans ma mémoire.
Invité et accueilli par Toti Comito (Coordonnateur du Cercle de la province de Palerme), Toti qui devait terminer la préparation de la soirée m’a laissé aux bons soins de Filippo Grillo, un artiste sicilien. Né à Partinico, il nous a fait visiter sa maison située en plein centre-ville. Sa demeure est une vraie caverne d’Ali Baba. Depuis 30 ans, Filippo collectionne des objets typiquement siciliens avec l’espoir d’ouvrir un jour un musée. Ses relations à Marseille où il espère voir son projet de musée aboutir au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM). Filippo parle bien le français, ce qui fut salvateur pour le reste de la soirée, car le Sicilien est parfois difficile à comprendre.
Au début de la commémoration, peu après 18h00, j’ai eu la joie immense de faire la connaissance de Giovanni Paparcuri. Giovanni était le chauffeur de Rocco Chinnici et il échappa à la mort en août 1983 lorsqu’une voiture remplie de dynamite explosa à Palerme pour tuer le chef du bureau d’instruction.
Le 29 juillet 1983, à 8 h 10, le magistrat sort de chez lui, sous bonne escorte. Soudain, l’explosion!
Quand retombe la poussière et que se dissipe la fumée, le spectacle est hallucinant : quatre morts, quatorze blessés, une vingtaine de voitures réduites en ferraille, des vitrines et des fenêtres éventrées par dizaines, des appartements dévastés dans un rayon de 200 mètres.
Giovanni Paparcuri est un miraculé. Autour de lui, ils sont tous morts. Il doit sa vie par le fait qu’un de ses collègues lui avait demandé de retourner dans la voiture pour prendre une radio oubliée. Le blindage de la voiture le sauva in extremis.
Aujourd’hui, Giovanni Paparcuri est un militant de l’antimafia. Il entretient la mémoire de ceux qui sont tombés, des victimes de la mafia ; des morts, comme des vivants. Car si notre héritage judéo-chrétien nous incite à nous souvenir surtout des êtres disparus, il ne faut pas oublier ceux qui restent.
La souffrance d’un amour, un papa, une maman, un frère, des enfants, des amis, des proches. Ça fait des centaines et des centaines de personnes qui sont meurtries d’une manière inaltérable par la barbarie mafieuse.
Lors de cette soirée, Giovanni Paparcuri nous a raconté quelques anecdotes de son travail aux côtés de Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. Il a passé 10 ans avec eux et s’était lié d’amitié avec Paolo Borsellino et sa famille.
Giovanni Paparcuri ne pouvait plus faire partie d’une équipe d’escorte à cause des blessures subies lors de l’attentat. C’est là que Borsellino lui proposa de travailler pour le pool antimafia de Palerme. Giovanni Paparcuri n’a pas hésité une seconde. Il s’est attelé à la tâche et mis en place le système informatique des juges de Palerme. Un système qui se révélerait désuet aujourd’hui. Car avec quelques ordinateurs et des centaines de disquettes, Giovanni Paparcuri a méticuleusement retranscrit, répertorié et archivé tous les actes du Maxi-Procès (800’000 pages!) qui allait voit le jour en 1986.
La voix douce de Giovanni s’est élevée sur la Piazza Umberto 1er, dans un silence de cathédrale. L’intensité de ses propos était terriblement émouvante. Dans son regard sombre, mais lumineux, on arrive à lire la profonde et détresse qui ne le quitte plus. Grièvement blessé dans l’explosion d’une voiture piégée en 1983, il va « mourir » une seconde fois en 1992, à la mort de Falcone. Puis 57 jours plus tard, en parcourant la Via D’Amelio quelques minutes après l’attentat qui tua son ami, le juge Borsellino.
L’odeur de la mort, de la poudre, de la barbarie est accolée à ses vibrantes paroles.
Un peu plus loin, deux carabiniers en patrouille s’arrêtent quelques instants pour écouter.
Les bruyantes rues siciliennes s’imprègnent des mots de Giovanni Paparcuri, de Toti Comito, du président de la ville de Partinico et de tous les intervenants. J’interviens en français. Explique aux Siciliens que quand je fais le voyage sur leur magnifique île, je ne viens pas sur la terre de la mafia, mais sur la terre de l’ANTIMAFIA. Car du courage il en faut pour se révolter contre l’immonde pieuvre qui pollue l’histoire de la Sicile.
Les noms de Giovanni Falcone, Paolo Borsellino, Emanuele Basile, Rocco Chinnici, Pietro Scaglione, leur entourage, leurs escortes et tous les autres s’envolent vers le ciel. C’est une révérence à ces hommes qui ont eu le courage de dire non à la mafia.
Voir tous ces gens réunis dans une rue de Sicile pour s’opposer à ce cancer alors que pendant des années, personne n’osait même murmurer le nom de Mafia est l’héritage de ces héros!
Les magnifiques poèmes de Francesca Lurrseri et de l’écrivain antimafia Francesco Billeci sont venus couronner ce vibrant hommage. La langue de Dante si bien contée est d’une puissance et d’une beauté sans égal. Il y a aussi eu l’intervention de Maurizio Lorenzi, un journaliste, écrivain.
La soirée s’est terminée en apothéose avec une scène théâtrale mise en scène par Maurizio De Luca en pleine rue reconstituant l’existence de madame Agnese Borsellino (décédée en 2013), l’amour de Paolo qui l’a accompagné dans les plus beaux moments de sa vie comme dans les plus tragiques. Pendant une heure, la comédienne a fait une prestation merveilleuse et retranscrit l’émotion de cette vie dramatique. Sacrifiée.
Puis à la fin de la soirée, arrivé à l’improviste après avoir annoncé en début de soirée qu’il ne viendrait pas « pour tromper l’adversaire », Mario Conte, juge antimafia de Palerme, est venu une dizaine de minutes apporter son soutien à cette soirée en évoquant que sans la société civile, les magistrats et les forces de police ne peuvent pas combattre seuls la mafia.
Après quelques accolades étroitement surveillées, le magistrat s’en est allé à bord de sa voiture blindée avec son escorte…
Paolo Borsellino, Giovanni Falcone et tous leurs collègues avaient compris qu’en rendant l’État crédible, la loi du silence, la fameuse omerta s’effriterait pour devenir aussi fine que la cendre qui recouvre les pentes de l’Etna.
Christian Lovis

Qu’est-ce que l’Association «www.icittadini.it»
l’Association «Citoyens contre les mafias et la corruption»
L’association est inspirée par les valeurs fondamentales de la constitution italienne et engage ses membres et les représentants de ses organes statutaires de respecter les lois et règlements de l’État. Les citoyens contre la mafia se sont engagés à soutenir le travail de la magistrature et des forces de police dans la lutte difficile et continue contre la mafia et la corruption.
L’Association collabore avec d’autres associations antimafia ou d’aide aux victimes de crimes violents. Elle est aidée dans sa démarche quotidienne par des juges imminents de la lutte antimafia, des policiers, des enseignants, des avocats, des journalistes.
Quels sont les buts de l’Association ?
L’association a pour but d’aider toutes les personnes qui décident de suivre comme chemin de vie, la solidarité morale, y compris ceux qui ont décidé d’abandonner des modèles de vie bien différents. Elle œuvre a des programmes éducatifs dans le développement de la dignité humaine et le progrès des peuples.
Qui peut adhérer à l’Association ?
Tout le monde peut adhérer à l’Association, sauf ceux qui font l’objet de poursuites pénales pour association de malfaiteurs avec la mafia. Sont exclus aussi ceux qui sont poursuivis pour corruption, extorsion de fonds, ou qui ont commis des crimes contre les personnes et les biens.
Que fait l’Association ?
Les citoyens contre la mafia entreprennent la gestion des biens saisis aux organisations criminelles. Ils aident également à la réadaptation sociale de ceux qui ont besoin de se réinsérer dans la société civile après le vol des mafias, mais aussi aux hommes et femmes qui ont vécu en qualité de criminels et qui montrent le désir sérieux et sincère de quitter les organisations criminelles pour suivre les voies et le mode de vie fondés sur la légalité, le respect des lois et des valeurs constitutionnelles de l’État.
C. Lovis © juillet 2015
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