Régulièrement, j’entends des journalistes utiliser le mot Mafia pour évoquer toutes sortes d’affaires et tronquer le mot mafieux pour parler d’individus aux comportements illégaux. Or, force est de constater que l’utilisation abusive de ce terme finit par tromper l’opinion publique sur l’aspect intrinsèque de ce qu’est une mafia. Remettons l’église au milieu du village.
Une Mafia est une organisation criminelle qui est à la recherche du pouvoir pour accumuler des richesses. Elle utilisera des moyens illicites pour parvenir à ses fins et réinjectera une partie de l’argent accumulé dans l’économie légale.
Les journalistes se trompent quand ils parlent de Mafia en évoquant la guerre des gangs qui se produit depuis quelques années dans les quartiers nord de Marseille. Si les gangs marseillais s’entretuent pour le contrôle de territoires (comme le ferait une mafia), ils n’ont aucune ambition de socialisation du quartier. Or, une mafia se distingue par cette capacité de s’encrer dans un territoire pour devenir une alternative aux institutions faibles et incapables de répondre aux exigences socio-économiques de la population.
Les Italiens du Sud ne sont pas tous des mafiosi !

Si le phénomène a pris autant d’ampleur dans le sud de l’Italie (Mezzogiorno), c’est suite à la période instable survenue au moment de l’unification italienne (1860). Devant les inégalités politiques, économiques et sociales, certains habitants de ses régions ont été recrutés par la mafia qui était la seule « institution » à pouvoir offrir une ascension sociale et économique à ses affiliés. Dans des régions du Mezzogiorno fortement touchées par le manque de travail, les Italiens n’ont pas de grandes perspectives d’avenir ni de prospérité. Quand les institutions classiques échouent où marque leur faiblesse récurrente, certains se tournent vers les organisations criminelles pour s’assurer un revenu.
Il serait faux de considérer que seul le volet économique fait basculer une personne dans la criminalité. Si l’on considère que pour trouver un sens à sa vie, chaque individu a besoin de considération, d’un peu de notoriété dans son milieu et surtout de perspectives d’avenir, la frustration qui naît chez des individus que l’Etat délaisse engendre un bassin de recrutement providentiel pour la Mafia. Un jeune homme affilié à la mafia passe du statut de « Monsieur Tout-le-Monde » à un « homme respecté ».

Au sein de la Mafia, ce même jeune homme devra respecter et faire respecter des valeurs de sa nouvelle « famille » (règles, cadre symbolique, code d’honneur). Certes, les exigences sont multiples, mais elles lui apporteront des opportunités qu’il n’aurait jamais connues auparavant. Son sentiment d’appartenance devient total au moment où il comprend qu’il devient un « homme d’honneur » quand il participe au rituel d’intronisation, aux actes criminels, aux réunions, aux banquets et aux cérémonies mafieuses.
À la différence des gangs, si un mafioso est incarcéré ou assassiné, à condition que le mafieux n’ait pas brisé l’omerta, ni trahi son clan, sa famille sera soutenue financièrement par l’organisation criminelle et pourra bénéficier de toutes sortes d’avantages.
Autre différence de marque entre un gang et une Mafia. C’est sa capacité à survivre à la répression policière et aux règlements de comptes sanglants. La Mafia a cette capacité de pérenniser son organisation en remplaçant immédiatement un capo assassiné par un autre. Les règlements de comptes sont fréquents, mais ils sont généralement muris en haut lieu et n’interviennent que si la continuité est assurée. Le décès d’un chef de gang peut faire vaciller toute son organisation et amener des luttes de pouvoir qui iront souvent jusqu’à l’extinction du groupe qui sera remplacé par un autre sans aucune garantie de continuité. Dans la mafia, l’équilibre et l’ordre passent par une juste répartition des activités illicites entre les différentes familles mafieuses. Ce qui n’est pas du tout le cas au sein des gangs de quartiers.
En Italie, la Mafia a survécu à la monarchie, au fascisme et à la République. Ces trois régimes étatiques ne sont jamais parvenus à éradiquer la mafia même après des campagnes de répression parfois très efficaces. Par exemple, Cosa Nostra a été fortement affaiblie après les arrestations dans les années 1990 des chefs historiques (Totò Riina et Bernardo Provenzano), mais elle continue en 2017 à imposer son contrôle territorial en Sicile.
Plusieurs grandes différences qui existent entre un gang et une Mafia sont aussi le prélèvement du Pizzo (racket mafieux) auprès des commerçants. Cet impôt de protection contre un danger qu’elle produit elle-même lui assure des revenus conséquents tous les jours. À de rares exceptions, les gangs de quartiers ne prélèvent (pour l’instant) aucun « impôt » de ce genre. Contrairement à la Mafia, les gangs ne s’infiltrent pas non plus dans le tissu politique, administratif et entrepreneurial dans les marchés publics de la construction. Un gang n’a aucune ambition d’entretenir un consensus social et les seuls « emplois » qu’un gang offre aux jeunes des cités se limitent aux rôles de guetteurs, dealers ou encore de mules. En contrôlant des sociétés légales par le biais d’hommes de paille, la Mafia peut se targuer « d’offrir » du travail aux gens.

Il est important de savoir également que la Mafia ne cherche en aucun cas à se substituer à l’État. Elle reste un organisme parasitaire dans lequel des représentants y trouvent leur compte. Un fonctionnaire n’aurait aucune plus-value en participant de quelconque manière à la vie criminelle d’un gang de banlieue.
La mafia va toujours chercher à maintenir un équilibre entre la pression sur la population (racket, intimidation, etc.) et le consensus (soutien financier de la communauté). Ce qui n’est pas le cas d’un gang.
Doivent être considérées comme des Mafias (en précisant qu’elles sont différentes et en constante évolution) :
En Italie : Cosa Nostra en Sicile, ‘Ndrangheta en Calabre, Camorra en Campanie et Sacra Corona Unita dans les Pouilles.
En Asie : Les Yakuza au Japon et la Triade chinoise sont dans cette catégorie conceptuelle.
Ne devraient pas être considérées comme des mafias :
Amérique : Les cartels de la cocaïne.
Europe : mafia capitale à Rome, la Brigada — la “mafia” roumaine. Le clan tsiganes de Casamonica à Rome.
C. Lovis – 2017 © Les Hommes de l’antimafia
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