Tommaso Buscetta au Maxi-Procès de Palerme


Le 3 avril 1986, Tommaso Buscetta – qui fut le premier grand parrain à rompre la loi du silence – entra dans la salle du Tribunal-Bunker de Palerme lors du Maxi-procès. Ces révélations débouchèrent, en 1986, à Palerme, sur le premier grand procès anti-Mafia (475 inculpés).

Extrait de mon prochain livre : 

Palerme était quadrillée par des forces de sécurité qui se tenaient sur le pied de guerre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Autour de la prison de l’Ucciardone, six automitrailleuses blindées et trois mille carabiniers montaient la garde pour protéger le tribunal-bunker aménagé dans l’enceinte de la célèbre prison palermitaine. L’immense salle du tribunal, une sorte d’amphithéâtre plus grande qu’un terrain de football, était conçue pour résister à un attentat à la bombe. À l’extérieur, l’armée avait installé des missiles antiaériens pour protéger le tribunal d’une attaque venue du ciel. On savait de quoi était capable la mafia terroriste de Totò Riina qui demeurait en liberté.

Interview passionnante de Tommaso Buscetta parue dans le journal « La Repubblica » le 17 mars 2005 et traduite dans le courrier international.

Le « repenti » Tommaso Buscetta

Une breakfast room [petite salle à manger] comme il y en a partout, dans un hôtel comme il y en a partout, entre ville et autoroute. Tommaso Buscetta est assis à une table d’angle, contre le mur. De là, il peut regarder vers le jardin, vers la piscine, vers le hall d’entrée : personne n’échappe à son regard long, lent et faussement distrait. Il couvre l’arrière de son crâne rasé d’une casquette des Raiders, porte des lunettes de soleil qui cachent des yeux tristes et une curieuse barbe qui donne un air épineux à son visage rond de Sarrasin.
Il est 8 heures du matin. Tandis qu’en Italie l’arrestation de Balduccio Di Maggio (1) rallume la querelle sur les repentis, Tommaso Buscetta se verse avec gourmandise du sirop d’érable sur du pain perdu – le seul aliment, admet-il, qui lui plaise vraiment aux Etats-Unis, où il vit et se cache. Il fait couler le sirop sur chaque tartine avec une attention méticuleuse, puis, à l’aide de sa fourchette, il les tourne et les retourne dans le jus coloré, avant de mordre dedans avec une passion enfantine. L’opération terminée, il dit comme par routine : “Ils ont arrêté l’homme du baiser.”
Du baiser ? Du baiser à Andreotti (2) ? Qui ? Baldassare Di Maggio ?
“Oui, celui-là, Balduccio. Balduccio Di Maggio.” Et, tout en parlant, il mordille un autre coin de sa tartine dégoulinante de sirop.
Tommaso Buscetta est, aux Etats Unis, l’homme le plus informé sur ce qui se passe en Italie. Il peut disserter sur le sort du gouvernement, la fronde de Bertinotti [leader de Rifondazione Comunista : son conflit avec le gouvernement à propos du budget a failli provoquer la chute de celui-ci], les querelles parlementaires, les lois et propositions de loi, les défilés de mode à Milan. Dans une banlieue aux avenues proprettes, silencieuses, ombragées, aux pelouses tondues de frais, aux villas toutes semblables et tranquilles, Tommaso Buscetta dispute l’ordinateur à son fils de 16 ans, le dernier de ses six enfants. Il pourrait, en bon Américain à la retraite, se reposer sous la véranda, soigner les fleurs du jardin derrière la maison, aller au café du coin boire une bière, regarder le base-ball à la télévision ou ranimer le charbon de bois du barbecue le dimanche à l’heure du brunch. Il préfère se triturer la cervelle à essayer de comprendre ce qui se concocte dans le grand chaudron de la politique italienne. Debout dès l’aube comme beaucoup de septuagénaires, Tommaso Buscetta sélectionne sa revue de presse à travers le labyrinthe d’Internet. Pendant que les feuilles sortent de l’imprimante, il charge la machine à espresso. En buvant son café dans la cuisine spacieuse et ensoleillée, avec de temps à autre un regard au-delà de la véranda vers le chêne du jardin, il commence à lire son journal patchwork.

La nouvelle du jour, c’est l’arrestation de Baldassare Di Maggio. Nos entretiens, qui auront duré trois jours, s’achèvent aujourd’hui sur ce nom, cette arrestation et cette “trahison”.

Commentaire de Tommaso Buscetta : “Le parquet de Palerme a interrogé, puis arrêté Di Maggio. On l’accuse d’homicide. On dit qu’il est redevenu mafieux, mais ça, c’est complètement idiot.

Pourquoi ?
Parce qu’un type comme lui, qui a parlé, ne peut pas réintégrer Cosa Nostra. Il peut redevenir un délinquant de droit commun et prendre la tête d’une bande de chiens enragés, mais il ne sera plus jamais un mafieux.

Il n’y a pas grande différence entre le fait que Di Maggio soit un mafieux ou bien un criminel ordinaire. Ce qui compte, c’est qu’il a tué à nouveau…
Et c’est très grave, en effet. Cependant, le délit d’aujourd’hui n’annule pas la validité de ses déclarations passées. Si Di Maggio a commis des erreurs, il doit payer ses dettes envers la justice.

Il paiera aussi pour ses crimes actuels, mais n’avez-vous pas l’impression que c’est la crédibilité du système anti-Mafia tout entier qui est mise à mal ?
Mise à mal, oui, et comment ! Il y a actuellement trop de choses qui ne fonctionnent plus. Pour Di Maggio, je me demande où était le service central de protection. Est-ce qu’il ne faudrait pas attacher des gens comme Di Maggio à des piquets ? Les astreindre à des horaires pour rentrer chez eux, à des permis pour quitter la ville ? Moi, je ne suis jamais retourné à Palerme. Seuls les gens qui me connaissent savent ce que je donnerais pour un plat d’oursins. En Italie, j’y retournerai encore : pour la confrontation avec Tano Badalamenti (3). Ce sera peut-être la dernière chose que je ferai… Mais ne parlons pas de cela… Il y a eu tellement de dégâts, tellement de négligences…

Quels dégâts, quelles négligences… ?
Mais vous ne voyez donc pas ? L’Etat avait réussi, grâce à un petit groupe d’hommes d’honneur qui s’étaient sentis trahis par Cosa Nostra, à démonter pièce par pièce, comme un puzzle, cette organisation, à en comprendre, grâce à l’intelligence aiguë de Giovanni Falcone, les méthodes, les habitudes, la dangerosité. Ça n’a pas été un travail facile. Ça a même été une tragédie, qui devrait rester dans la mémoire de tous ceux qui veulent bien se souvenir. Une tragédie pour les magistrats : Falcone est mort, Borsellino est mort [assassinés en Sicile à trois mois d’intervalle, en 1992, par les grands parrains mafieux]. Une tragédie pour nous : j’ai subi, ainsi que les autres, tous les deuils, toutes les infamies, tous les sarcasmes. Treize ans après, je suis encore un homme qui doit se cacher au bout de la terre sous un faux nom. Qui a gagné ? Qui a perdu ? Parfois, je me sens vaincu, comme Totò Riina, qui pourrit en prison.

Vous vous sentez vaincu ?
Je ne veux pas donner de leçon. Je peux seulement dire ma colère. Je suis en colère quand je vois comment l’Etat italien, à cause de la mauvaise foi intéressée de quelques-uns et de l’inconséquence des autres, laisse filer la victoire sur Cosa Nostra.

Doucement, procédons par ordre. La mauvaise foi intéressée de qui ?
Vous cherchez à me provoquer. Mais je suis trop fatigué, trop vieux et trop malade pour jouer au petit jeu des provocations. Si vous êtes de bonne foi, les réponses, vous pouvez les trouver tout seul. Ce petit groupe d’hommes vaincus – c’est-à-dire moi, Totuccio Contorno, Pippo Calderone et Marino Mannoia – a expliqué à l’Etat comment écraser la tête de Cosa Nostra. C’est un travail qui est allé de l’avant pendant plusieurs années, et maintenant que la bête, à bout de souffle, agonise, on marche de travers, comme des crabes. On approuve le décret 513 [qui oblige le repenti à confirmer ses déclarations devant les tribunaux, sous peine d’annulation de son témoignage], ce qui est légitime : il est juste que l’accusé se défende par un contre-interrogatoire. Mais le législateur ne devait-il pas prévoir que le témoin pourrait être empêché de confirmer ses déclarations lors du débat, en étant menacé ou acheté ? Il n’était pas très difficile, d’après ce que je peux comprendre, de prévoir que le collaborateur ne pourrait pas recourir à la faculté de ne pas répondre. Il suffisait de le considérer simplement comme témoin, et non comme coaccusé, et la boucle était bouclée. Et l’article 192, qui prévoit que les déclarations d’un repenti peuvent servir de recoupement à celles d’un autre repenti ? [Si deux repentis ou plus fournissent la même version d’un fait, ce dernier prend valeur de preuve.] Je lis qu’ils veulent le modifier. Comme si les réunions de Cosa Nostra étaient sténographiées par des secrétaires ou comme si les pactes de l’organisation étaient scellés devant notaire. Comme si les collaborateurs pouvaient fournir des documents provenant de Cosa Nostra et pas seulement rapporter des paroles, qui valent dans l’organisation bien plus que des feuilles de papier. Bref, il n’y a à mon avis plus un seul politicien qui se demande si une loi ou une polémique de cet ordre ne risque pas de donner un coup de main à la Mafia, si elle renforce ou si elle affaiblit la lutte contre elle. Voulez-vous que je continue ? Il y a pire. L’autre jour, j’ai lu que l’ancien député Dell’Utri (4) avait dit que la Mafia n’existait pas, qu’existait seulement la ‘mentalité mafieuse’…

Qu’en pensez-vous ?
Comment un homme intelligent et cultivé comme Dell’Utri, sicilien de surcroît, peut-il se cacher derrière son petit doigt ? D’accord, il est accusé d’être membre de la Mafia, mais cette défense est grotesque.

Pourtant, ce que dit Dell’Utri, nombreux sont ceux qui en Italie commencent à le penser. On dit plus ou moins que, après Riina, la Mafia est morte et enterrée…
Si ce que vous dites est vrai, alors, cela veut dire que Dell’Utri interprète un sentiment de l’opinion publique italienne, qui, après tant de sang, de morts, d’héroïsme, préfère croire que la Mafia, si elle a jamais existé, n’existe plus. Tandis que la ‘mentalité mafieuse’ est toujours là, et on ne peut rien contre elle car il est impossible de l’éradiquer, ni maintenant ni jamais, et mieux vaut donc vivre avec elle sans se faire trop de mal.

Peut-être la faute incombe-t-elle aussi à certains excès de l’anti-Mafia ?
Je ne comprends pas très bien.

Par exemple, l’opinion publique italienne a de plus en plus de mal à comprendre pourquoi un mafieux qui a tué cinquante ou cent hommes peut, après son arrestation, avouer ses crimes, accuser ses complices et retrouver la liberté…
Je comprends cette difficulté. Moi aussi j’ai été confronté à ce problème.

Quand ?
Un jour de 1994, lors d’une confrontation chez le juge d’instruction. Je me suis trouvé face à face avec un mafieux – repenti – qui avait étranglé mes deux fils.

Qui était ce mafieux repenti ?
Je ne veux pas le dire. Quand il y aura le procès, ça se saura. Mes fils étaient deux jeunes gens innocents, parce qu’ils n’étaient pas mafieux ; leur seul tort était d’être mes fils. Ils ont été tués, et leur assassin était là, devant moi.

Que s’est-il passé lors de cette confrontation ?
Je regardais cet homme qui pleurait et qui me demandait pardon, et j’ai compris que mon ressentiment ne m’aurait pas rendu mes garçons. J’ai compris que je devais faire prévaloir l’intérêt collectif (c’est comme ça qu’on dit), parce que c’est le seul moyen de comprendre que, lorsque la Mafia aura été liquidée, il n’y aura plus d’innocents qui seront tués, et plus aucun homme ne sera l’assassin de jeunes gens innocents. Cet homme qui était devant moi était un assassin, c’est vrai, mais il était précisément en train d’oeuvrer pour qu’il n’y ait plus d’assassins comme lui. Je ne l’ai pas embrassé, non, je n’aurais pas pu, mais je lui ai pardonné dans mon coeur.

Comment peut-on accepter sans crainte que des types qui ont tué jusqu’à cent hommes soient en liberté ?
Vu d’ici, c’est une question bien curieuse… A Rome, on se récrie contre les procès à l’américaine, les accusations à l’américaine, les enquêtes et les débats à l’américaine, les droits de la défense tels qu’ils sont garantis en Amérique. C’est vrai, OK ! Mais, alors, pourquoi personne ne se souvient-il que le boss John Gotti a été trahi par son lieutenant Sammy Gravano, lequel a tué autant et bien plus que Di Maggio et est en liberté sans que cela ne provoque ni scandale politique ni crainte, comme vous dites, de l’opinion publique ? Bien sûr, s’ils prennent Gravano un flingue à la main, ils le mettent en prison et jettent la clé… On peut faire une pause, maintenant ?…”
Tommaso Buscetta a un cancer qui le met à genoux, qui lui pompe toutes ses forces, ses ressources, son envie de vivre. Sur le bord de la console, devant le miroir du salon, un diagnostic médical qui ne laisse guère d’espoirs : myélome multiple et amylose. Un diagnostic vieux de deux ans. Le sang malade qui coule dans ses veines lui a déjà abîmé les reins, et l’on craint maintenant qu’il n’attaque les os. Buscetta, épuisé par les séances de chimiothérapie, se fatigue vite. Il parle lentement. Souvent, il reste silencieux, semble méditer, renouer le fil de ses pensées, reprendre son souffle. De temps à autre, il lui faut s’étendre sur le divan, d’où (par fierté, pour ne pas capituler devant la maladie) il se relève aussitôt, comme mu par un ressort, pour se remettre avec entêtement à parler, à demander, à vouloir expliquer. Il dit : “Je vois une grande confusion chez ceux qui devraient lutter contre la Mafia.

C’est l’inconséquence dont vous parliez tout à l’heure ?
Oui, j’ai l’impression que les magistrats, les policiers, les partis politiques, les commissions parlementaires sont en train de s’enfoncer dans une grande confusion.

Pouvez-vous citer quelques noms, donner quelques exemples ?
Je ne veux pas donner de noms : le problème, c’est la méthode, pas les hommes.

A quelle méthode faites-vous allusion ?
A celle du recours aux repentis. Depuis plus de dix ans, treize si on pinaille, il devrait être évident que seule la collaboration des ex-mafieux peut réduire Cosa Nostra en poussière. Cependant, si je repense à l’usage qui a été fait de cet instrument – comme l’appellent les politiciens -, je sens monter en moi une méchante colère.

Et pourquoi ?
Je ne veux pas donner de leçon, je le répète. Mais je tire mon opinion de mon expérience. Quand j’ai commencé à faire mes déclarations au juge Falcone, en 1984, personne n’était au courant de ma confession. Personne. Et aucune mesure judiciaire ne fut signée avant que l’on n’ait vérifié ce que j’avais dit. Falcone ordonna, comme l’a dit par la suite le juge Piero Grasso à la télévision, plus de 2 500 vérifications. Ce ne fut qu’après que le juge Falcone signa les mandats d’arrêt pour les mafieux. Par contre, aujourd’hui…

Que se passe-t-il aujourd’hui ?
Il se passe aujourd’hui que le premier compte rendu d’interrogatoire se retrouve dans le journal. Avant même que les déclarations du repenti n’aient été vérifiées, il est convoqué au tribunal, obligé d’y raconter ce qu’il sait ou ce qu’il pourrait savoir. C’est ce qui s’est passé, entre autres, pour Giovanni Brusca [déclaré non fiable par le parquet de Caltanissetta]. Un parquet le considère comme fiable et un autre non, selon les besoins du moment.

A votre avis, Brusca est-il fiable ou pas ?
Je dis qu’il est fiable. Il a essayé de jouer au plus malin, mais, quand ensuite il a accusé son père, Bernardo Brusca, il a pris un chemin sans retour. La grande confusion qui entoure Brusca ne doit pas être entièrement rejetée sur ses épaules : elle nous dit que la méthode désormais ne fonctionne plus. Il ne peut pas y avoir deux, trois, quatre, cinq parquets qui, dans la phase initiale, interrogent le même repenti. Cela ne peut produire que des malentendus, de la méfiance et des rivalités, comme c’est en train de se produire. Une fois encore, Giovanni Falcone avait raison quand il imaginait un parquet national qui serait un centre de coordination et de contrôle des déclarations initiales des repentis.

Cependant cette méthode n’aurait pas protégé l’Etat contre le retour d’un Di Maggio à la Mafia, à l’assassinat, au crime…
Cette question, ce n’est pas à moi qu’il faut la poser. Je ne suis ni le père ni le prophète des plus de 1 000 repentis de la Mafia. C’est beaucoup, hein ? Parmi tous ces gens, la plupart ne sont pas des hommes d’honneur, beaucoup de gens de Cosa Nostra ont connu seulement l’horreur de l’assassinat, ont convoité la possibilité qu’elle leur offrait de s’enrichir, ont voulu l’impunité pour leur avidité et leurs faiblesses. Je n’ai rien à voir avec la majorité d’entre eux ; ce sont des gens dépourvus de toute dignité. Ce sont eux, c’est la confusion qui règne dans l’Etat, l’arrogance de ceux qui insultent, non pas tel ou tel magistrat, comme c’est arrivé à Falcone, mais des parquets entiers, comme ça ne se serait jamais produit auparavant, qui me font dire : une page d’histoire est tournée. Cette histoire qui a commencé dans une caserne de carabiniers, autour d’une table – d’un côté, il y avait Falcone, de l’autre, moi -, s’est refermée pour toujours. Maintenant, il faut écrire un autre livre, une autre histoire. Avec d’autres règles, d’autres lois, d’autres hommes. Considérez ces paroles comme mon testament moral.

Quelles règles et quelles lois pourraient ouvrir une nouvelle phase pour le repentir des mafieux ?
Peu m’importe. Mon chemin arrive à sa fin. Je dois me préparer à mourir.”
Mourir. Buscetta le dit comme si c’était un mot doux. Et doucement le fait rouler entre ses lèvres.
“Mourir, oui. J’ai vécu avec la mort à côté de moi, comme une ombre. En tant que mafieux, je savais que je devais m’en faire une compagne. C’était la règle. Je le savais, et ça ne me faisait pas peur. La mort inutile des autres, la mort injuste des innocents m’ont convaincu de ne plus être un mafieux, et une autre mort a commencé à se montrer. La mort par vendetta. Ils ne me menaçaient pas seulement moi, mais aussi mes fils, où qu’ils soient, mon épouse, où qu’elle se cache. Je décidai alors de regarder la mort droit dans les yeux et je tentai le suicide, mais la maudite ne voulut pas de moi. Je fus sauvé et contraint à nouveau de rester sous sa menace. Toute ma vie, j’ai combattu contre la mort. Et maintenant que je la sens sur moi, certains matins je n’arrive pas à me lever ; pour marcher, je dois m’appuyer au mur. Mais je ne veux pas capituler. J’ai vu à l’Ucciardone [la prison de Palerme], il y a bien des années, un jeune homme qui avait la même maladie que moi. Je ne veux pas me retrouver dans l’état où il était et je prie Dieu que tout soit fini avant. C’est drôle, la vie ! J’ai passé la plupart de mes jours à me tenir loin de la mort et, aujourd’hui que le temps est venu, elle me paraît être un cadeau merveilleux. Il est juste qu’il en soit ainsi. Moi aussi je mérite la paix et le repos.”

1. Le repenti Baldassare Di Maggio, dit “Balduccio”, a été arrêté le dimanche 12 octobre dans un appartement de Rome. Ancien chauffeur de Totò Riina, l’ex-chef suprême de Cosa Nostra, il avait livré ce dernier à la justice en 1993.
2. Selon Di Maggio, le sénateur Giulio Andreotti a rencontré Totò Riina et échangé avec lui le baiser mafieux rituel.
3. Antonio Badalamenti, dit “Tano” : ennemi “historique” de Tommaso Buscetta, qui, dans la guerre des clans opposant les deux familles, fit exterminer ses proches, en 1982. Purge une peine de prison à vie depuis 1985. Ne s’est jamais repenti.
4. Marcello Dell’Utri, ex-numéro deux du groupe Fininvest de Silvio Berlusconi. Actuellement jugé à Palerme, il est accusé par trente-six repentis d’avoir été la charnière entre Cosa Nostra et le monde de la finance milanaise.

Source : Giuseppe D’Avanzo et Liana Milella – http://www.courrierinternational.com