À l’évocation de la mafia, on a tous en tête les films sortis des studios d’Hollywood. De grands noms comme Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Brian De Palma ou encore Sergio Leone ont marqué à jamais les films de gangsters au cinéma. La grandiose interprétation de Robert De Niro, Marlon Brando, Al Pacino ou encore Joe Pesci a fait de ces films de gangsters de véritables chefs-d’œuvre cinématographiques. Pourtant, même si ces réalisations artistiques sont inspirées de faits réels, les spectateurs ne doivent jamais oublier qu’ils ne reflètent qu’une fiction forcément assez éloignée de la réalité.
Or, la qualité filmique de ces productions a contribué à auréoler d’un prestige totalement injuste et même inique le monde de la mafia. La prestation du héros tragique représenté par Marlon Brando, interprétant Vito Corleone, chef affable d’une famille traditionnelle patriarcale, marchant la tête haute, imprégné d’honneur et de moralité y est pour beaucoup. Le public a succombé — et on le comprend — à cet esprit chevaleresque et poétique allant jusqu’à croire qu’il existe une « bonne mafia » avec laquelle, après tout, on peut sympathiser.
C’est certain, le Parrain a joué un rôle fondamental dans l’imaginaire collectif sur l’existence d’une « bonne mafia » débordante d’hommes d’honneur respectables. Son succès planétaire a contribué à colporter des légendes urbaines et beaucoup de gens ont pris ce film comme une source importante d’information sur le phénomène mafieux.
La musique du film écrite par Nino Rota a connu également une renommée mondiale. Je n’ai jamais connu personne, tous âges confondus, qui n’associe pas ce thème musical à la mafia qui a donc au même titre que les nations son hymne musical.
Évidemment, dès la sortie du Parrain, les mafieux en ont fait une source d’inspiration pour alimenter le côté mystique de leur organisation criminelle. Quelle aubaine pour eux de se savoir représenté en gentleman imprégné de valeurs familiales, défenseur des opprimés, mesurés et équitables quand ils décident de punir un rival, se montrant farouchement opposés aux affaires immorales comme le trafic de drogue et la prostitution.
Cela ne veut absolument pas dire qu’il ne faut pas aimer cette trilogie. Personnellement, je la considère comme un chef-d’œuvre et j’encourage tous les lecteurs du site à ne pas changer leur perception sur cette saga monumentale à la suite de cet article. Son but est que chacun garde à l’esprit que la réalité du phénomène mafieux est une catastrophe pour les démocraties et que les criminels, qui s’autoproclament pompeusement « homme d’honneur », engendrent chaque jour des dizaines de milliers de victimes.
Quelques-unes des histoires vraies
Vito Corleone a été inspiré par Frank Costello
Interprété par Marlon Brando, le personnage de don Vito Corleone était en fait une combinaison de plusieurs truands.
Il y a le gangster Joe Profaci qui était l’un des plus puissants patrons de la pègre italo-américaine de 1940 au début des années 1960. Comme Vito Corleone dans le film, ce dernier possédait une entreprise d’huile d’olive pour couvrir ses activités illégales et pour se protéger, il gardait un cercle d’amis très restreint en sachant bien qu’on n’est jamais trahi que par les siens.
Dans le film, Vito Corleone a la réputation d’être un personnage modeste et discret comme l’était le vrai mafioso Carlo Gambino (parrain de la Cosa Nostra américaine de 1957 à 1976).
En revanche, dans le film, Vito Corleone se rapproche davantage du caractère réel de Frank Costello (parrain de la famille new-yorkaise Luciano). Authentiquement, le mafioso Costello était un boss intelligent et raisonnable. Très respecté, il est considéré comme l’un des gangsters les plus influents de l’histoire de la mafia américaine. Au sein du milieu, mais aussi dans la presse, on le surnommait le « Premier ministre du crime » en raison de sa volonté déterminée de préserver la paix entre les différents clans de la Cosa Nostra. Comme le faisait Costello, Vito Corleone dans le Parrain recourt toujours à la diplomatie pour entretenir de bonnes relations avec des hommes d’affaires et politiciens véreux. Comme Vito Corleone dans le film, Costello dans la vraie vie décourageait les autres mafiosi de s’adonner au trafic de stupéfiants qu’il estimait déshonorant.
Johnny Fontane a été inspiré par Frank Sinatra
Dans le film, l’acteur Al Martino joue le personnage du chanteur Johnny Fontane. Les similitudes avec le chanteur Frank Sinatra, ami des grands gangsters de la mafia étaient telles que ce dernier s’était montré fortement irrité à la sortie du film. Dans le Parrain, Fontane demande l’aide de Vito Corleone pour l’aider à se détacher d’un contrat avec lequel il n’était pas satisfait. Dans la vraie vie, en 1942, Sinatra qui était le chanteur le plus populaire des États-Unis aspirait faire une carrière solo. Il demanda au chef d’orchestre qui l’employait comme chanteur de rompre son contrat, mais ce dernier refusa. Après la visite menaçante de plusieurs hommes aux mines patibulaires, le chef d’orchestre accepta de rompre le contrat.

Dans le film, Johnny Fontane est désespéré de voir sa carrière de chanteur décliner. Il décide alors de se lancer dans le métier d’acteur, mais devant son inexpérience, le réalisateur refuse de l’engager. Dans la vraie vie, en 1953, Frank Sinatra ne vend plus de disques. Ses concerts tournent à la bérézina, il chante devant 150 personnes dans une salle qui peut en contenir 1500. Il avait droit aux sarcasmes des journalistes qui le disaient fini. À cette époque, la Columbia s’apprêtait à tourner un film tiré d’un best-seller « Tant qu’il y aura des hommes ». Après avoir lu le scénario, Sinatra convoita le rôle, mais le producteur hollywoodien resta intraitable : « Tu sais peut-être chanter, mais pas jouer la comédie ». Sinatra s’entêta. Quelques semaines plus tard, le producteur revint finalement sur sa décision après avoir reçu des menaces. Ces histoires d’intimidation vont inspirer Francis Ford Coppola pour le Parrain et notamment la fameuse scène de la tête du cheval dans le lit et la célèbre phrase : « Je vais lui faire une offre qu’il ne refusera pas ».
Moe Greene a été inspiré par Bugsy Siegel
Interprété par l’acteur Alex Rocco, le gangster du film Moe Greene a une personnalité impétueuse, renversant tout sur son passage. Ce personnage a été inspiré par le gangster Ben « Bugsy » Siegel qui était précisément comme cela. Tout le monde redoutait son tempérament violent, sanguin et imprévisible. On le surnommait « Bugsy » qui signifie « Le dingue » même si personne n’osait prononcer ce surnom en sa présence. Siegel était un tueur à gages chevronné et avait fondé la Murder Incorporated, une organisation composée de jeunes gangsters juifs et italiens payés à l’année pour faire le sale boulot en assassinant sur ordre des boss de la mafia italo-américaine. Dans la vraie vie, Bugsy Siegel exploitait le casino de luxe Flamingo, à Las Vegas. Dans le Parrain, Moe Greene exprime des caractéristiques identiques. Tout comme le vrai Siegel, Moe Greene dans le film est juif et sera tué par balle, notamment en recevant un projectile dans l’orbite. La seule différence majeure est que dans la vraie vie, Siegel a été exécuté pour avoir détourné des fonds à la mafia, tandis que dans le film, Moe Greene est assassiné pour avoir manqué de respect aux Corleone.
Michael Corleone a été inspiré par Salvatore « Bill » Bonanno
Dans la vraie vie, le mafioso Joseph Bonanno ne voulait pas que son fils, Bill, se lance dans l’entreprise familiale mafieuse. Il l’encourageait à rester dans le droit chemin en lui conseillant d’étudier à la faculté de droit, tout comme Vito Corleone dans le film avec son fils Michael.Dans le Parrain, malgré les souhaits de son père, Michael Corleone — comme Bill Bonanno dans la vraie vie — va trouver sa voie au sein de la mafia.
En revanche, c’est la seule ressemblance comparable, car dans la vraie vie, la personnalité du gangster Bill Bonanno ressemblait plus au frère aîné de Michael Corleone, Fredo. En effet, Bill Bonanno était extravagant et cherchait toujours l’attention. Il était réputé pour profiter des richesses ostentatoires de sa famille et si les soldats de son clan lui ont conservé le respect, c’est uniquement parce qu’il était le fils du grand boss : Joe Bonanno.
Salvatore Tessio est inspiré de Gaspar DiGregorio
Dans le Parrain, les Corleone ont découvert que l’un des leurs conspirait contre l’ascension de Michael au pouvoir. Au début, les soupçons sont dirigés vers un gangster plus effronté, mais la famille découvre à sa grande déception que c’est le fidèle Salvatore Tessio (joué par l’acteur Abe Vigoda) qui est à l’origine de la tentative d’assassinat de Michael lors d’un sommet de la mafia. Dans la vraie vie, le personnage de Tessio a été inspiré par le gangster Gaspar DiGregorio. En effet, quand Joseph Bonanno a essayé de transférer son pouvoir à son fils, DiGregorio s’est senti lésé et a commencé une campagne de division contre le boss de la mafia. Comme Tessio l’a fait dans le film, DiGregorio a tenté d’organiser une réunion entre les deux factions avec l’intention d’assassiner les Bonnano. Contrairement à la jalousie et à la soif de pouvoir de DiGregorio, dans le Parrain, Tessio voulait que Michael Corleone soit retiré parce qu’il pensait tout simplement que ce dernier n’était pas le meilleur homme pour diriger la famille Corleone. Alors que dans la vraie vie, DiGregorio n’a pas réussi à tuer ses rivaux et a disparu dans l’ombre de l’anonymat, Tessio lui, a été « emmené en balade » et exécuté pour sa trahison.

Les lieux et les circonstances
La scène du restaurant est inspirée de faits réels entre deux gangsters Lucky Luciano et Joe Masseria
Dans le film, la scène mythique dans laquelle Michael Corleone devient un gangster à part entière en assassinant les ennemis de son père pour se venger de l’attentat qui a failli lui coûter la vie. Dans le Parrain, il invite au restaurant le capitaine de police corrompu McCluskey et Virgil Solozzo pour négocier une trêve. À un moment donné, Michael Corleone se rend aux toilettes où il récupère une arme à feu. Il retourne à la table et exécute froidement ses deux invités. Le tournage de cette scène a été inspiré par l’une des exécutions publiques les plus notoires de l’histoire de la mafia italo-américaine. En 1931, le célèbre gangster Lucky Luciano qui était déterminé à usurper le pouvoir de son mentor et patron Giuseppe « Joe » Masseria l’invita à déjeuner au restaurant. Après le repas, les hommes choisirent de jouer aux cartes. À un moment donné, Lucky Luciano s’excuse pour se rendre aux toilettes. C’est le signal, quatre tueurs à gages emmenés par Bugsy Siegel pénètrent dans le restaurant et criblent de balles Joe Masseria.
Juste après ce double assassinat, Michael Corleone se réfugie en Sicile et finit par tomber amoureux d’une fille du village de Corleone. Ce scénario est inspiré de la vraie vie des gangsters Vito Genovese et Lucky Luciano. Après un meurtre, Genovese s’était en effet enfui en Italie pour éviter les poursuites judiciaires avant de revenir quelques années plus tard. Quant à Lucky Luciano qui avait été expulsé dans son pays d’origine par les autorités américaines, ce dernier continua à diriger ses activités illégales depuis l’Italie sans plus ne jamais revenir aux États-Unis. Et comme dans le film, Luciano tomba amoureux d’une jeune Italienne qu’il épousa et avec qui il resta jusqu’à sa mort.
Pour la petite histoire
Au sujet de la scène morbide du film où le richissime producteur d’Hollywood se réveille dans des draps couverts de sang provenant de la tête tranchée de son étalon fétiche posée dans le lit. Les producteurs divulgueront plus tard qu’il s’agissait d’une véritable tête de cheval prélevée dans un abattoir. On remarque également sur la table de nuit, l’Oscar que Francis Ford Coppola avait reçu pour le film Patton en 1971.
Dialecte sicilien
Dans Le parrain 2, on découvre la jeunesse de Vito Corleone en Sicile, interprété par l’immense Robert De Niro. Pour les besoins du film et pour renforcer le réalisme, l’acteur a passé trois mois en immersion en Sicile pour y parfaire son italien et surtout apprendre le dialecte local des habitants de la ville de Corleone.
Le chat et Marlon Brando
Dans Le Parrain, une des scènes devenues mythiques est celle où Don Vito Corleone est assis sur sa chaise et caresse un chat pendant qu’il écoute les demandes de vengeance de son interlocuteur.
Initialement, le jeune chat n’était pas prévu dans le scénario, mais Marlon Brando, voyant l’animal errer dans les studios l’a pris dans ses bras justes avant de tourner la scène.
Francis Ford Coppola expliquera plus tard que le ronronnement du félin était si fort que le comédien a dû réenregistrer les dialogues après coup.
Menaces et intimidation de la vraie mafia contre les producteurs
Le Parrain est adapté du roman de Mario Puzo. À sa sortie, des hommes politiques appuyés par la ligue italo-américaine des droits civils sont montés au créneau pour critiquer ce film. Comme si cela ne suffisait pas, les producteurs reçurent des menaces terroristes et des intimidations en tout genre de la part de vrais gangsters américains. Devant la pression énorme, Francis Ford Coppola et Mario Puzo vont s’accorder avec ce groupe de pression particulièrement convaincant et retirer les mots « Mafia » et « Cosa Nostra » du scénario. C’est la raison pour laquelle la trilogie n’évoque aucun de ces mots.
C. Lovis, novembre 2020 © Antimafia.net
- Sources :
Rosario Giovanni Scalia – Mafieux ou héros ? Mythes et motifs tragiques dans Le Parrain et Le Parrain II de Francis Ford Coppola (Cahiers de Narratologie / Rhétorique et représentations de la culture mafieuse. Images, rituels, mythes et symboles) - Presse internationale
- Archives personnelles
- Trilogie du Parrain en DVD