Une fois n’est pas coutume. ANTIMAFIA.net va vous parler des femmes et de l’antimafia. Comme les premiers lecteurs se souviennent, mon premier livre s’intitulait « Les Hommes de l’Anfimafia, le monde a besoin de héros ». Il traitait du combat des magistrats contre la mafia sicilienne dans les années 80-90′. Rassurez-vous, je ne suis pas tombé dans la culture dégénérée du wokisme et cet article n’est en aucun cas écrit pour faire plaisir aux pseudoféministes actuelles. Mais revenons aux choses importantes. Dans le combat antimafia, les femmes ont pris une place importante et encore plus depuis les années les plus meurtrières de la mafia.
Le mouvement actuel antimafieux est aussi composé de femmes. Il est difficile de témoigner de la mafia qui prospère justement par son invisibilité (les témoins ont peur), or les femmes là jouent un rôle de premier plan. Leur douleur est devenue un facteur matériel de changement dans le conflit entre l’organisation démocratique légale et cette force envahissante, totalitaire qui exerce des pressions sur les émotions, les sentiments, l’intimité tout autant que sur l’économie et la politique.
L’expérience subjective de la perte, du deuil, de la douleur donne dans l’Italie de ces années sombres, comme une impulsion pour une forte revendication éthique et politique. Les émotions se sont révélées une précieuse ressource publique et les femmes ont joué un rôle particulier dans cette forme de protestation. Contre la mafia, les voix des femmes « du peuple » se sont élevées. Contre la mafia, des femmes de milieux sociaux tout à fait étrangers à la mafia, se sont engagées, comme les veuves, les sœurs et les mères des hommes assassinés pour leur engagement contre la mafia. Au-delà des histoires particulières, au-delà de l’évidente diversité de classe, de statut, d’âge, en fait de biographie, elles sont toutes à placer sur un plan d’égalité pour le courage, l’engagement civil, la douleur.

Les femmes de milieux mafieux, aussi subordonnées, exploitées ou complices qu’elles soient, apparaissent particulièrement susceptibles d’autonomie dans les situations de changement ou de conflit. Les femmes, au courant de beaucoup de secrets sans être officiellement dépositaires, tendent à obéir, en cas de conflit important, à leurs propres sentiments. Étrangères aux logiques organisationnelles, les femmes tendent à aller jusqu’au bout dans leur demande de justice. Cette demande est formulée en conséquence d’un deuil : le caractère absolu de leur demande de justice dérive du choc absolu qui leur a été infligé par la mort.
Toutefois, le choix de désobéir aux lois non écrites de la mafia, de casser le sombre cercle de la loi du silence, coûte très cher. Avant tout on risque sa propre vie et, pire, celle des proches. Toutes les femmes qui ont fait l’expérience de cette cassure se sont retrouvées seules, repoussées par les voisins et par les habitants du quartier et dans la plupart des cas, répudiées par leurs familles, par les parents, les frères, les sœurs, les oncles. Celles qui avaient une activité commerciale, un bar, un petit magasin, une boucherie, se sont retrouvées comme par enchantement, sans aucun client. Les femmes seules, pauvres et victimes du chantage, en décidant de révéler ce qu’elles savent, choisissent de changer radicalement de monde, de références, de relations, de lieu, de travail. Ce qu’elles perdent est plus qu’évident, ce qu’elles gagnent est totalement inconnu. Seulement une intégrité intérieure, des émotions et des sentiments forts peuvent induire un tel choix.
Abandonner son propre environnement pour se confier à l’État et aux valeurs de la société civile, a ménagé souvent des expériences amères : juges incrédules ou corrompus, institutions compromises avec le pouvoir mafieux, aides faibles pour les dépenses de procès ont pesé sur la solitude des femmes. Elles se sont constituées partie civile avec mille difficultés, elles n’ont jamais retrouvé cette solidarité ni ce soutien matériel et moral que leur geste aurait dû susciter. Pourtant, ces femmes ne se sont pas résignées. Un grand sentiment de rébellion, une demande de justice émotivement chargée et, surtout, une fidélité à la mémoire des hommes assassinés, les maris, les frères ou les fils, leur en ont donné le courage.

Les vies des femmes d’origine sociale et culturelle différentes ont été violemment arrêtées au moment des coups de feu et des détonations. Une blessure qu’il faut garder ouverte pour la garder en mémoire. Leur lutte contre les institutions corrompues et contre une opinion publique souvent amnésique et indifférente, s’est déroulée au nom de cet impératif éthique de ne pas oublier ce qui unit depuis toujours les victimes des abus du pouvoir totalitaire.
La mafia menace et attaque de façon particulièrement insinuante la société civile dont les valeurs et les qualités ne peuvent pas être préservées uniquement par les armes. Il faut autre chose, il faut justement ce qui a été appelé la résistance civile : « une pratique de lutte des citoyens seuls et des groupes qui se développe sans armes, mais avec des instruments comme le courage moral, l’inventivité, la souplesse, la capacité de manipuler les rapports* ».
Le juge Giovanni Falcone, massacré par la mafia à Capaci, avec sa femme Francesca Morvillo et les gardes du corps Antonio Montinaro, Rocco Di Cillo et Vito Schifani, aimait répéter : « Cosa Nostra n’est pas invincible. C’est une structure construite par des hommes et comme toutes les choses faites par des hommes elle a eu un début et elle aura une fin** »
C. Lovis © ANTIMAFIA.net / Janvier 2022
Source : document de sociologie sur la mafia 1996 (Université de Calabre)
*Anna BRAVO e Anna Maria BRUZZONE, In guerra sema armi, Bari, Laterza, 1995, p. 15-16.
** Giovanni Falcone e Marcelle Padovani, Cose di Cosa Nostra, Milano, Rizzoli, 1991, p. 154.

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