Pas de femme, pas de mafia


La mafia italienne est un club d’hommes hétérosexuels et catholiques dans lequel « la donna » n’a pas le droit d’entrer, c’est-à-dire qu’elle ne peut bénéficier d’un RITE D’AFFILIATION. Cela dit, elles sont à la fois les victimes, les complices, voire les protagonistes de la VIOLENCE mafieuse.

Les femmes dans la mafia

Dans la mafia, les femmes ont un rôle intrinsèque et passif, celui d’être les garantes de la réputation masculine. « Cocu » est l’insulte suprême, car elle contrevient aux codes sexuels exacerbés dans l’univers mafieux. Le comportement sexuel de la femme conditionne l’entrée et la carrière du mafieux et elles sont une monnaie d’échange dans les politiques matrimoniales. Elles ont un rôle traditionnel, actif celui-là, de par la maternité. Piliers de la FAMILLE MAFIEUSE, elles transmettent le code culturel mafieux, privilégient l’enfant mâle sur l’enfant femelle. Vue comme la génitrice de garçons portant le nom du clan, c’est en définitive la mère qui sponsorise l’autorité masculine. Elles sont aussi les gardiennes des morts et c’est pourquoi elles entretiennent la FAIDA, un climat de vengeance où elles incitent leur fils à tuer les assassins d’un membre de la famille. Elles participent donc au renforcement du clan et parfois se sacrifient. Par exemple, une mère avec la complicité de sa fille a livré le fils au clan pour le faire assassiner. Le jeune soldat avait entamé une collaboration avec la justice.

À côté du rôle traditionnel, les femmes participent aux trafics

Au début du siècle, elles gèrent la prostitution à Naples, assistent les hommes en cavale ou récoltent le pizzo (racket). Avec la massification dans les années 70 du narcotrafic, l’implication des femmes s’intensifie ; elles deviennent les courriers de la drogue. Elles sont aussi les organisatrices du trafic comme cette mamie-héroïne arrêtée à l’âge de 74 ans, ou comme Maria Serraino. Au sein de la ‘ndrine Serraino-Di Giovine, Maria Serraino a eu douze enfants et a été condamnée à la prison à vie. Seize femmes de son clan ont été condamnées à plus de cent trente années de prison.

Maria Serraino, l’une des rares femmes de la ‘Ndrangheta à voir son rôle de « boss » reconnu

À Naples, il est arrivé que des femmes jouent un rôle de direction au sein d’un clan. Toujours en raison du trafic de drogue qui engendre des profits exponentiels, les femmes entrent dans les activités économico-financières qui leur sont particulièrement adaptées parce qu’elles ne requièrent pas l’usage de la violence. La femme de Bernardo Provenzano, Saveria Palazzolo, blanchissait l’argent. Du fait de la répression, elles deviennent les messagères entre les mafieux incarcérés et le clan et se révèlent douées et entreprenantes. Giusy Vitale demande l’assassinat d’une personne qui a donné des renseignements aux carabiniers quant à l’endroit où se cachait son frère.

Giusy Vitale, une repentie par vengeance ?

Mais ces cas demeurent rares. Même lorsqu’elles sont chefs, leur autorité est remise en cause. Par exemple, Giusy Vitale devenue capomandamento de Partinico s’est vu refuser de participer à la réunion des chefs de canton alors que ce droit est consubstantiel au grade de chef de canton mafieux. Il semblerait que le POUVOIR des femmes ne peut s’exercer qu’en l’absence d’hommes, tel un pouvoir de délégation. Dans ce cas, les femmes qui sont directement en lien de sang avec l’homme sont les mieux placées. Les soeurs « de » et les filles « de » sont plus légitimes que les femmes « de ».

Enfin, jusque dans les années 90, les magistrats construisent une image de la femme innocente et ignorante et leur assurent une certaine forme d’impunité. Mais cela change comme le démontre ces chiffres : aucune condamnation pour ASSOCIATION MAFIEUSE à l’encontre d’une femme entre 1982 et 1994 puis 14 entre 1994 et 2010.

Les soeurs « de » et les filles « de » sont plus légitimes que les femmes « de »

Femmes hors de la mafia

Les femmes jouent un rôle fondamental dans la collaboration avec la justice, car elles influencent fortement leurs maris dans la décision de collaborer ou non avec l’État de droit. Il est très difficile pour un mafieux qui quitte un ordre supérieur de ne pas être soutenu dans cette entreprise. Le mafieux qui trahit la LOI DU SILENCE n’est plus un homme, car garder le silence est une preuve de virilité. En le soutenant, l’épouse légitime la conduite de son mari, ce qui lui redonne confiance. Il s’agit en particulier de redonner de la valeur au père en expliquant aux enfants que « papa » a fait le bon choix. Celle qui n’approuve pas la collaboration répudie le mari, souvent en place publique, en le qualifiant de « traître ». Elle agit ainsi soit par peur des rétorsions soit par peur de perdre le soutien économique du clan. Enfin, les femmes peuvent empêcher la collaboration. Les magistrats craignent plus que tout les mères : un regard vers le fils au parloir et c’en est fini des velléités de sortir de la mafia. Une femme qui empêche son mari ou son fils de collaborer acquiert du prestige dans la ville.

Le rôle des femmes dans la mafia semble avoir changé, mais en réalité la mafia instrumentalise la modernité de l’émancipation de la femme. Les femmes de la mafia se livrent à des activités risquées et peu rémunérées. Elles demeurent dépendantes économiquement et les perspectives de carrière sont inexistantes. Le monde de la mafia s’est peut-être féminisé, mais reste machiste, car l’idéologie mafieuse repose sur l’infériorité féminine. Le pouvoir donné aux femmes est toujours temporaire, car la femme est dangereuse pour l’organisation. Les mafieux savent que si les femmes étaient libres dans la mafia, elles pourraient non seulement inciter à la collaboration avec la justice ou bien elles ne fonderaient pas de famille avec un mafieux, ce qui empêcherait la « reproduction » du phénomène mafieux.

« Tu as bu le sang de mon fils, je te crache au visage…Tous les mafieux sont des cocus. »

Déclaration, au tribunal, d’une mère au mafieux qui a tué son fils.

C. Lovis – © Antimafia.net 2022

Illustration photographique par Elizabeth Brockway/La bête quotidienne

Continuez le sujet :

Les femmes ont-elles pris le pouvoir dans la mafia italienne ?

Livre de référence :

Le monde a besoin de héros

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