Extrait d’Avanti, le combat de l’antimafia
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À dessein de ridiculiser l’institution judiciaire, les mafieux avaient baptisé ce pénitencier le « Grand Hôtel dell’Ucciardone ». Pour émailler leurs journées rythmées par l’ennui puisqu’ils n’avaient pas, contrairement aux autres détenus, l’obligation de travailler, ils tiraient parti de leur incarcération pour consolider des alliances, fomenter des complots ou organiser de nouveaux crimes. Malgré leur captivité, les parrains exerçaient leur emprise de façon outrancière au sein même de l’endroit censé les punir et les priver de leur liberté. Leur outrecuidance n’avait pas de limite. Ils donnaient des ordres à des surveillants craintifs ou corrompus, affolés par le statut de leur pensionnaire. Si à l’inverse des détenus, les gardiens rentraient chez eux chaque jour, ils n’étaient jamais libérés de leur appréhension. On peut se demander qui — des employés pénitentiaires ou des mafieux — subissaient véritablement l’emprisonnement. Par principe, un « homme d’honneur » ne mangeait pas la nourriture fournie par l’État. Alors chaque jour, des traiteurs apprêtaient soigneusement des repas qu’ils remettaient ensuite aux gardiens. Les prisonniers de Cosa Nostra se gavaient ainsi de mets raffinés au nez et à la barbe de la justice. Un jour, au sein même du gymnase de la prison, un boss incarcéré organisa un banquet copieux fait de homards, d’espadon et de champagne pour fêter son anniversaire. Une autre fois, un détenu réserva la chapelle de la prison après qu’un juge lui avait refusé une sortie temporaire pour célébrer le mariage de sa fille à l’église. Les gardiens hébétés virent alors arriver toute la famille, ainsi que des dizaines d’invités à l’intérieur de l’enceinte, au nez et à la barbe de l’institution pénitentiaire. On imagine aisément la difficulté des gardiens à travailler dans cet univers carcéral perverti. Une fois encore, ils n’étaient que quelques-uns à refuser de se soumettre au dictat des membres de la toute-puissante Cosa Nostra. Le maréchal Bonincontro faisait partie de ceux-là.
Âgé de 53 ans, Attilio Bonincontro officiait depuis trente ans dans le milieu carcéral. À l’Ucciardone, il était chef du quartier pénitentiaire où séjournaient les mafieux. Très apprécié par ses collègues, il s’inscrivait comme une référence dans son domaine et c’est auprès de lui qu’ils venaient chercher des conseils quand une situation les dépassait. En revanche, les mafiosi qui n’étaient jamais parvenus à le dompter le détestaient. À la suite d’une violente bagarre qui s’était déroulée quelques jours auparavant, la direction prit des mesures disciplinaires contre plusieurs prisonniers. La semaine qui suivit constitua une de ces périodes agitées comme Bonincontro en avait traversé souvent durant sa carrière. Comme d’habitude, il mena sa mission exigeante avec sang-froid et compétence et appliqua les sanctions en dépit des menaces quotidiennes. Mais passer sa vie plus de neuf heures par jour dans l’ambiance puante, sordide, cloîtrée et surchauffée d’une prison avait de quoi user le plus vaillant des hommes. Depuis quelques jours, le gardien apparaissait d’humeur taciturne et derrière ses lunettes à double foyer, son regard pensif se perdait souvent dans le vide. Après une nouvelle journée passée dans cette atmosphère pesante, il se rendit aux vestiaires et se déshabilla sans hâte pour prendre sa douche. L’eau était froide, mais elle lui faisait du bien. Il se savonna vigoureusement pour ôter l’odeur de la prison et s’aperçut trop tard qu’il avait oublié de retirer ses lunettes quand elles se recouvrirent de buée. Décidément, il se dit qu’il avait la tête ailleurs ces derniers jours. Un collègue qui terminait aussi son service arriva en sifflotant et jeta un coup d’œil vers la douche où il s’aperçut avec amusement que Bonincontro, nu comme un vers, avait laissé ses lunettes sur le nez. Il s’approcha à l’orée des douches et interpella son collègue d’un air goguenard : « Attilio, tu as laissé tes lunettes pour être certain de retrouver ton spaghetti ? » Puis il éclata d’un gros rire gras, content de sa plaisanterie. Comme il ne reçut pas de réponse, il n’insista pas et repartit en sifflotant joyeusement. Normalement, Bonincontro l’aurait envoyé se faire foutre, mais il était épuisé moralement. Son foyer, sa femme et ses enfants restaient la seule chose qui parvenait à la ragaillardir un peu. En se rhabillant, il songea à la conversation qu’il avait eue quelques heures plus tôt avec un avocat alors qu’il le raccompagnait à la sortie : « Vous savez, il y a trop longtemps que je navigue dans ce monde-là. Je suis usé. Heureusement que je pars à la retraite dans quelques semaines ».
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Voici les agents pénitentiaires assassinés par la mafia
(de gauche à droite)
Appuntato ANTONIO LO RUSSO – Palermo 5 maggio 1971.
Maresciallo ATTILIO BONINCONTRO – Palermo 1 dicembre 1977.
Maresciallo CALOGERO DI BONA – Palermo 28 agosto 1979.
Agente PIETRO CERULLI – Palermo 13 luglio 1980.
Appuntato AGOSTINO BATTAGLI – Portici (NA) 5 giugno 1981.
Brigadiere CARMELO CERRUTO – S. Cataldo (CL) 24 novembre 1982.
Appuntato ALFREDO PARAGANO -Arzano (NA) 12 febbraio 1982.
Brigadiere ANTIMO GRAZIANO – Napoli 14 settembre 1982.
Vice Brigadiere ANTONINO BURRAFATO – Termini Imerese 29 giugno 1982.
Agente GENNARO DE ANGELIS – Cesa (CE) 15 ottobre 1982.
Agente ANTONIO CRISTIANO – Napoli 2 dicembre 1983.
Maresciallo PASQUALE MANDATO – Santa Maria Capua Vetere (CE) 5 marzo 1983.
Appuntato NICANDRO IZZO – Napoli 31 gennaio 1983.
Agente IGNAZIO DE FLORIO – Carinola (CE) 11 ottobre 1983.
Maresciallo FILIPPO SALSONE – Brancaleone (RC) 7 febbraio 1986.
Sovrintendente PASQUALE DI LORENZO – Porto Empedocle (AG) 13 ottobre 1992.
Sovrintendente PASQUALE CAMPANELLO – Torrette di mercogliano (AV) 8 febbraio 1993.
Agente CARMELO MAGLI – Taranto 14 settembre 1994.
Assistente Capo LUIGI BODENZA – Gravina (CT) 24 marzo 1994.
Agente Scelto GIUSEPPE MONTALTO – Trapani 23 dicembre 1995.
Agente Scelto ANTONIO CONDELLO – Palma di Montechiaro (AG) 17 novembre 1998.

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